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Music

Antikhthon

Durée

23′

Date de composition

1971

Édition

Salabert, EAS 17038

Effectif

Musique de ballet pour 86 ou 60 musiciens :
3(pic).3.3.3(cbn)-4.3.3.1, timb, 2perc, crd (16.14.12.10.8) ou (10.8.6.6.4)

Création

Le 21.09.1974, Bonn, Festival Xenakis, Michel Tabachnik (dir)

Notice

En 1969, après Metastasis et Pithoprokta, George Balanchine m’a demandé d’écrire une pièce orchestrale pour le Ballet de New York. Il m’en a laissé le choix du sujet, j’avais la possibilité d’écrire soit une musique de programme avec une intrigue, soit de la musique sans histoire, c’est-à-dire de la musique abstraite. J’ai choisi cette dernière solution, mais en lui donnant un titre mystérieux et évocateur, afin de confier au chorégraphe quelque chose à travailler de plus étoffé que des pensées musicales pures. Normalement un ballet traite d’une histoire ou des extraits d’une histoire, et parfois de mots seulement, mais rarement un ballet traite-t-il de lettres, c’est-à-dire, de symboles quintessenciels qui paraîtraient sur scène en propre, et qui ne se rapporteraient que l’un à l’autre. Malgré de superbes productions mises en scène par Merce Cunningham, George Balanchine lui-même, et quelques autres, le ballet abstrait de l’avenir reste au stade d’une idée en germe.

J’ai donc choisi un terme pythagorique, “anti-khthon” (anti-terre) qui date du sixième ou du cinquième siècle avant J.-C. Les Pythagoriciens furent les premiers à affirmer que la terre n’est pas le centre de l’univers. Ils croyaient que les planètes et les étoiles, y compris le soleil et l’anti-terre (qui était elle-même invisible de la terre), tournaient autour d’un feu central invisible. En raison de sa position entre le feu central et la terre, et de ses mouvements en synchronisation avec ceux de la terre, à laquelle elle ressemble étroitement, l’anti-terre cachait entièrement le feu central de la terre. Évidemment, l’intérêt qui se manifeste aujourd’hui pour le concept de l’anti-terre n’est pas attribuable aux faits astronomiques, mais aux nombreuses vibrations prophétiques qu’il suscite en harmonie avec d’actuels credo scientifiques, et des théories telles que celles de l’antimatière, ou l’anti-univers, ou un univers parallèle au nôtre.

Au niveau psychologique, aussi, il y a des vibrations en sympathie avec la complexité des couches, conscientes et subconscientes, dans nos esprits ou, encore plus éloigné, avec le vrai univers qui s’étend parallèlement à l’univers parapsychologique. Le feu central est une source bénéfique d’énergie créative, et les soleils sont seulement des morceaux de verre qui la reflètent. Mais l’idée même d’un feu central suggère l’existence, au-delà des sources actuelles de l’énergie, telles que les conçoit l’astrophysique contemporaine, d’une source inconnue et mystérieuse, que l’homme ne peut encore concevoir. Toutes ces vibrations sympathiques constituent une image qui fournit à l’imagination un tremplin, duquel l’esprit peut se lancer dans des conjectures illimitées – l’infini de mondes sans nombre qui s’enchaînent inextricablement.

A cause de sa nature même, la musique exhibe une affinité involontaire pour ces idées et pourrait être considérée comme leur expression très nébuleuse. Ayant créé des soleils de cuivres, des mondes de bois pour y sur imprimer des structures architecturales de cordes, j’ai dû alors choisir un titre régi par la conception de “ce qui est AUTRE”. D’où “Antikhthon”.

Iannis Xenakis